Ce qui se dit sur Sudbury, de beau et de pas beau, dans la littérature et les médias

dimanche 14 septembre 2008

Confiance et espoir (Lionel Groulx)

Depuis 1764, deux siècles tout près ont passé. Nos raisons de rester Français auraient-elles perdu de leur force ? Et si des motifs nouveaux nous commandent de renier la première attitude des ancêtres, quels sont-ils ? Je me rappelle de mon premier passage à Sudbury, en 1928. Je revenais de l’Ouest. Par besoin de prendre l’air, je descendis du train; j’arpentai le quai de la gare. Un modeste employé transportait des colis. Je l’abordai : Vous parlez Français ? – Oui Monsieur. – Est-ce qu’ici, autour de vous, tout le monde ne parle pas l’Anglais? – Oh! Oui, presque tout le monde. – Pourquoi alors parler français ? Le pauvre homme me regardait dans les yeux, un peu ahuri, sans doute, de s’entendre poser pareille question, Mais il se ressaisit et me jeta ces mots que je n’ai jamais oubliés : « Que voulez-vous? Vous êtes un passant, vous; et de me parler comme ça, dans ma langue, ça me travaille le cœur! » Qu’est-ce donc qui travaillait le cœur de cet homme du peuple ? Des motifs de confiance, de fierté qui, aux heures de doute, seraient propres en chacun de nous, à nous travailler le cœur, en sommes-nous si dépourvus?

Confiance et espoir, conférence prononcée par le chanoine Lionel Groulx le 13 novembre 1944 à Sudbury, dans Collection franco-ontarienne, no 1, Éditions de la Société historique du Nouvel-Ontario, Collège du Sacré-Cœur, 1945, 22 p.

samedi 13 septembre 2008

L'arrivée du Père Nolin à Sudbury (Albert Plante)

Au mois d’août 1883, le P. Nolin se fixa à Sudbury, ou plus exactement, à Sainte-Anne-des-Pins. L’appellation fait sourire ceux qui ont contemplé, ces dernières années, les collines dénudées de la ville. Le Père avait confiance en Sainte Anne. Il la choisit comme patronne de la nouvelle paroisse. La belle forêt de pins qui enjolivait alors les rochers avoisinants lui suggéra le titre complet de Sainte-Anne-des-Pins. La hache des bûcherons et les feux de forêts anéantirent la pinière. Le nom de Sainte-Anne resta à l’église et à la résidence, mais non à la localité. Sudbury, petite ville d’Angleterre, était la patrie de M. James Worthington, premier surintendant général des travaux du chemin de fer. Il donna donc ce nom à l’humble village, peuplé exclusivement, en 1883, d’ouvriers du Pacifique-Canadien. La Compagnie, désireuse de bannir à tout prix les marchands de boisson, exerçait le monopole des magasins et des maisons de pension. Elle le garda jusqu’en 1884.

Arrivé à Sudbury, avec les ouvriers terrassiers, le P. Nolin se construisit un petit chantier. Il ne s’en servira pas. C’était l’été et il avait une tente. Vive donc la nuit sous la toile, dans le voisinage intéressant des ours qui sortaient de leurs cachettes ! Il prenait ses repas dans la famille James McCormick, où il disait la messe les jours de semaine. Le dimanche, si la température était favorable, on avait la messe en plein air. Sinon, on se réunissait dans la maison de pension du Pacifique-Canadien.

Les semaines passaient, l’automne s’annonçait et le Père songeait au froid, qui le guettait sous la tente. Il lui fallait un logis. Un ouvrier quittait justement Sudbury. Le missionnaire acheta sa cabane. Dans son nouveau chantier-chapelle de deux chambres, il allait vivre et travailler tout près de son Dieu. Il s’aperçut toutefois assez tôt de l’exiguïté de sa demeure. Homme de décision et d’action, ce n’est pas au printemps suivant qu’il y remédiera. C’est tout de suite.

Il entreprit donc, au début d’octobre, la construction d’un presbytère-chapelle. Besogne facile, croyez-vous. Jugez vous-même. Impossible de se procurer du matériel à Sudbury. D’ailleurs, le chemin de fer n’atteint encore que l’extrémité est du lac Ramsay, à cinq milles du village. La Compagnie du Pacifique, impatiente de pousser les travaux d’automne, n’entend pas être dérangée par les soucis du transport. Elle ne pourra mettre aucun de ses hommes à la disposition du P. Nolin et consentira finalement à transporter son matériel, mais à un taux fort élevé.

Ces premières difficultés ne font que stimuler le missionnaire constructeur. Aucune route de terre entre l’extrémité de la ligne et le village. Il se rend au bout du lac, construit un radeau, le charge et prend deux jours pour toucher Sudbury. Du rivage au lieu choisi pour le presbytère, il y a vingt arpents, non pas un beau chemin, mais à travers les forêts, les roches, une côte raide et des abatis. Il pleut. La boue est pesante. En avant toujours ! Seul, durant deux autres journées, il transporte planches, briques et meubles. Et les travaux commencent. Les temps libres que lui laissent ses courses apostoliques, il les passe sur le chantier. La construction est déjà assez avancée à l’arrivée de la première locomotive, le 28 novembre. Tout est fini pour Noël. Le rez-de-chaussée servira de résidence, l’étage, de chapelle.

Les Pères de la paroisse Sainte-Anne occupent encore aujourd’hui le presbytère du p. Nolin, agrandi et restauré…

Albert Plante, S.J., Vingt-cinq ans de vie française. Le Collège de Sudbury, Montréal, 1938, p. 16-19.

jeudi 11 septembre 2008

Sudbury nocturne (Michel Dallaire)

Sudbury nocturne

ville veuve

les rues
les ruelles
la grisaille qui s'installe à demeure

« Hey man! Get off the fucken road! »

m'écrase dans une fosse
comme un sac à ordures
laisse filer un pick-up
qui fait crier ses pneus

Sudbury
dans ma torpeur
dans Sudbury

je pisse dans un banc de neige
pendant qu'une Stratocaster
crie son blues dans la nuit
pour des siècles et des siècles

rire noir
pris dans la gorge
d'une saison d'enfer
qui ne finit pas de finir

la neige tombe
acide
me couvre
de la tête aux pieds

un air de guitare venu de loin

« s’cuse me while I kiss the sky »

Michel Dallaire, Cinéma muet (Prise de parole, 1989), p. 11

samedi 6 septembre 2008

Extrait du journal Le Gaillard (1923)

Le Gaillard était le journal étudiant (1920-1924) du Collège Sacré-Cœur de Sudbury.

« Mon collège !… il n’est pas beau mon collège ! Non, pour sûr, il n’est pas beau. D’où sortait-il donc le barbare qui inventa ce style gothique rectangulaire ? Qui sait ? Peut-être était-il trop pauvre pour faire mieux, Alors, il n’avait qu’à laisser sa brique en tas et ne rien bâtir du tout. Ne rien bâtir ? S’il n’avait rien bâti, où serai-je, tout de même, moi ? Où serait ces deux cents enfants qui m’entourent dans cette salle d’études ? Oui, où serions-nous ? Ce pauvre qui ignore tout de l’architecture, était donc pauvre en sous, mais il était riche en pitié. Il a eu pitié de notre pauvreté. Il a vu tous ces Canadiens français de l’Ontario menacés de perdre leur langue d’abord, leu foi ensuite; il les a vus à peu près sans chefs, sans avocats, sans médecins, sans prêtres de leur race, et il a eu pitié. Il a pris le peu d’argent qui lui restait, juste assez pour assembler sans art quelques briques rouges, et derrière ces briques, il a logé le Dévouement… »[i]

[i] Extrait d’un article dans Le Gaillard, journal étudiant du Collège Sacré-Cœur (1920-1924), écrit par Georges Roberge, décembre 1923, p. 5, dans Plante, Albert, Vingt-cinq ans de vie française. Le Collège de Sudbury, Montréal, 1938, p. 109-110.

vendredi 5 septembre 2008

Alliance Québec : ce mouton n’a pas vu le loup (Normand Renaud)

Le 7 février 1997, les médias canadiens faisaient une belle place au lobbying d’Alliance Québec, organisme porte-parole des revendications des anglophones du Québec. Mais l’idée ne venait à personne de comparer leur condition à celles des francophones de l’Ontario.

Le groupe de pression anglophone Alliance Québec réussit encore ces temps-ci à ameuter l’opinion publique canadienne. Comme toujours, ces cris au loup résonnent avec ironie dans nos oreilles franco-ontariennes, tant nous savons que le péril est pire chez nous. Nous nous comparons si mal aux Auglophones Québécois à tant d’égards – écoles, hôpitaux, grands journaux, universités, services et droits acquis de tout genre – qu’il n’est pas surprenant que leur lobby aussi soit meilleur que le nôtre.

En comparant nos porte-parole aux leurs, on a l’impression de ne voir chez les nôtres que timidité, modération, bon-ententisme et à-plat-ventrisme. Des générations de chefs de file franco-ontariens se sont succédé sans jamais qu’on en ait vu un ayant la gueule d’un Howard Galganov, le mordant d’un Mordecai Richler ou l’aplomb d’un Michael Hamelin. Mais ayant dit tout ça, encore faudrait-il qu’en Ontario français, comme au Québec anglais, une attitude plus coriace serait plus efficace. Là-dessus, j’avoue que je doute. Car la différence qui compte n’est pas dans les gorges chaudes des porte-parole, mais dans les têtes chaudes des sympathisants qui les écoutent.

Les mêmes médias qui font la place si belle à Alliance Québec l’ont faite aussi, il n’y a pas si longtemps, aux campagnes mensongères de l’Alliance for the Preservation of English in Canada et du parti Confederation of Regions. À cette époque, j’ai voulu corriger certaines des faussetés les plus choquantes que je lisais dans le courrier à l’éditeur du Sudbury Star et du Northern Life. Or, mes répliques publiées dans ces mêmes pages on eu pour effet d’inspirer des ripostes encore plus nombreuses, plus mensongères et plus bêtes. Un soir, j’ai eu le malheur d’en lire une avant mon repas. Je n’ai pas pu manger de la soirée. Telles sont les émotions qui viennent d’une telle discussion. J’ai vite compris dans quelle fosse puante je plongeais en portant ma cause sur la place publique. Quand j’ai écrit ma dernière lettre à ces journaux, c’était seulement pour annuler mon abonnement. Il faudrait que tous les Franco-Ontariens veuillent vivre ça? Ils gagneraient vraiment à attaquer la bêtise de front?

Il existe sans aucun doute ce fond d’intolérance qui nourrit la fameuse menace de ressac, de backlash, par laquelle les gouvernements ontariens successfis ont toujours justifé leur inaction et leurs injustices. Il n’y a pas si longtemps, une certain colonel Jock Andrews a rempli le Grand Théâtre de Sudbury pour dire devant mille personnes qui l’applaudissaient que si le sang devait couler dans les rues à cause du Français au Canada, ce serait le sang des autres, pas le sien. La majorité silencieuse canadienne, elle, est plus pacifique. Elle trouve seulement que le français coûte cher, qu’il est inutile étant donné que tous les francophones parlent aussi anglais, et que s’il faut le subir en Ontario, c’est juste pour faire des accroires au Québec. Qui sait vraiment combien de tout ça s’exprime dans l’œil ferme et le ton froid de l’employé d’une agence désignée par la loi 8 sur les services en français, qui vous répond : Sorry, I don’t speak French. Nous traitons nos porte-parole de poltrons? Nous traitons les Franco-Ontariens de moutons? Eh bien, on a raison. Car ces moutons-là ont vu le loup.

Le paradoxe d’une minorité, c’est que son bien-être repose sur des principes politiques et que la politique est le règne de la majorité. C’est sur un tout autre principe de pouvoir qu’il faudrait se fonder pour donner à l’Ontario français une voix publique plus saine que la désinformation de l’APEC et plus forte que le bon-ententisme de l’ACFO. Que nos universitaires ou nos artistes se chargent enfin de le trouver. Quand on aura trouvé notre voix à faire entendre la justice, elle n’aura pas le ton de celle d’Alliance Québec. À l’entendre dénoncer si fort de si faibles torts, je suis sûr que Howard Galganov n’aurait pas fait vieux os s’il avait été Franco-Ontarien. Il aurait fait une extinction de voix suivie d’une dépression.

Il y a des indignations qui ne se disent qu’en anglais et des injustices qui ne se dénoncent qu’entre anglophones. Ça ne nous sert à rien d’envier les belles grosses vagues de sympathie que fait le lobbying d’Alliance Québec. Jamais nous ne pourrons rêver en faire de si belles. Au fait, ça se dirait comment, ACFO, en anglais?

Normand Renaud, De face et de billet : une chronique d’humeur franco-ontarienne, Prise de parole, 2002, p. 115-117.

Qu'est-ce donc que Sudbury (Pierre Nepveu)

Qu'est-ce donc que Sudbury? Quels sont la nature et le sens de cette costructionhumaine jetée quelque part dans la poussière et la neige?

Pierre Nepveu, Intérieurs du Nouveau Monde (Boréal, 1998)

Sans explosion cette ville n'existerait pas (Robert Dickson)

sans explosion cette ville n'existerait pas
aujourd'hui un camion de dynamite
a explosé en banlieue
sans explosion cette ville n'existerait pas
sans la déflagration météorite pas de mineurs
pas de sudbury grand trou noir dans l'espace du nord
pas de secousses qui bouleversent régulièrement mes rêves
pas de richesse pas de communauté
pas de traces empreintes dans la roche à nu dans nos
cours et nos caves et nos coeurs

Robert Dickson, Humains paysages en temps de paix relative (Prise de parole, 2002)

Le pouvoir de l'illusion est grand (Stéphane Lépine)

Sudbury impose une image très dure: celle d'une ville triste, laide, qui offre bien des promesses mais s'avère aussi illusoire que redoutable. Sudbury est semblable à ces villes du nord... où les hommes devaient trouver la fotune et où ils n'ont fait que ruiner leur vie. Mais Sudbury demeure l'ultime espoir de s'en sortir, de vaincre la torpeur, le travestissement des âmes et des consciences, de metttre fin à la grande noirceur. Un espoir aussi éphémère, aussi chimérique que les beautés maquillées des samedis soirs? Peut-être, mais le pouvoir de l'illusion est grand. Il peut même permettre de dissiper les pires réalités.


Stéphane Lépine, Nos livres, vol. 14, octobre 1983

Un royaume de Vulcain (Lionel Séguin)

Les alentours de Sudbury donnent l'impression d'une vaste mer de roches fondues que de puissantes lames de fond auraient jadis soulevée en tous sens... Au fond des gorges minuscules, de minces ruisseaux fangeux se filtrent, tout mouchetés de sable roux et, selon l'abondance des eaux et des saisons, soupirent, hurlent ou jasent discrètement... Par-ci, par-là, comme des squelettes, de grands troncs de pin pleurent au vent ou dorment d'un sommeil de mort... Ce sauvage décor créé par des monts sculptés, par la morsure des gaz, forme un royaume de Vulcain... Des fourneaux géants vomissent des flammes d'enfer et des odeurs sulfureuses picotent les narines et saisissent à la gorge. Tous les alentours enfumés, empestés, jettent un linceuil écarlate, se reflétant jusqu'au Zénith.

Lionel Séguin, Historique de la Paroisse de Chelmsford (SHNO, 1948)

Sudbury, c'est la planète mars (Jean Forest)

Sudbury m’a beaucoup plu.

Je dois posséder une âme de pionnier. Il est clair qu’en Sibérie « ils » m’auraient accroché une médaille juste au-dessus du cœur. Si vous n’y avez jamais encore mis les pieds, vous ne pourrez pas comprendre…

Sudbury, c’est la planète Mars. On y exploite une seule ressource naturelle, le nickel. Il paraît que ce métal-là ne se trouve pas à tous les coins de rue sur notre planète. Ici, il surabonde. On l’extrait, puis on le raffine. Ça rapporte beaucoup de gros sous à quelques gros bonnets. Le raffinage du brut, de son côté, produisant des gaz peu compatibles avec la poussée germinative de Mère Nature, là où ils retombent.

Le plus souvent, un gaz délétère, quand vous le projetez dans l’atmosphère (ce qu’on respire), finit par redescendre au niveau du sol, qu’il tue. On le projetait au niveau de n’importe quoi au début. Ensuite, en grognant, on a bâti des cheminées. De cette façon, les gaz allèrent tuer beaucoup plus loin qu’avant. On éleva même la plus haute cheminée du Commonwealth britannique. Tout autour, ce fut la planète Mars…

Il faut comprendre que même avec une voiture à sa disposition, à moins qu’on ait de bonnes raisons de franchir la ceinture de la mort, on tourne sans cesse en rond au sein d’un univers kaki. Composé de rochers, de roches et de poussière de roche. Agrémenté ici et là d’étranges buttes, de monticules paradoxaux, comme des bouses de vache le seraient sur la pelousette de monsieur le curé à Westmount. Des collines décédées, ratatinées, foetalisées? Pas du tout.

Revenons au raffinage du nickel brut. On le dégangue. On l’extrait des déchets qui le retiennent prisonnier. On le purifie de ses impuretés. Il gagne son ciel par une température infernale. Que faire de ces saletés, quand on les a retirées? Entonner un Te Deum? Non pas. Les vomir. Pour elles on a par conséquent délimité des dépotoirs ad hoc. Où l’on empile les déchets, en français les scories, en sudburien la slag. À la longue, étant donné la loi de Lempilade, cela donne naissance à des terrils, en sudburien des dumps : les slag dumps.

La nuit, tout un spectacle! C’est qu’on utilise, pour abreuver le dépotoir en activité, un train miniature, juché dans les airs, composé de wagonnets en chapelet, de godets que l’on charge d’abord des déchets en fusion. Ceux-ci, d’un beau rouge vif, font comme de gigantesques braises en vadrouille dans le firmament, vues du plancher des vaches. Un mécanisme ingénieux faisant tout à coup basculer les godets, la braise liquide dévale les pentes du terril, avant de lentement s’y refroidir.

Tout ça avec accompagnement de cris aigus et de plaintes déchirantes, celles du chœur de l’enfer. Inoubliable.

A must.

Jean Forest, Jean Forest chez les Anglais (Tryptique, 1999)